les veines du silence
Ce théâtre commence toujours dans l’obscurité
et avant, dans la nuit noire, un désir à vide.
L’obscurité doit se prolonger
afin qu’à l’instant où elle disparaît,
on ressente que l’on y plonge.
Chute libre – un cosmos.
Métamorphoses de la langue.
Table
0. Prologue – (Premier espace ; noir)
1. Le défi vibrant – (Une lueur)
2. La grande nuit – (Deux lueurs)
3. Le dernier jour – (Trois lueurs)
5. Les métamorphoses – (Cinq lueurs)
6. L’assemblée absolue – (Six lueurs)
0. Prologue – (Premier espace ; noir)
Les veines du silence, et tout le jour
des coups sourds contre le mur aveugle
d’une chambre au fond de l’impasse
de l’ancienne taverne de l’ange.
À la surface de l’eau du bain,
une kyrielle de crasse,
l’étourdissement humide.
Au domaine, on franchit des pas de portes,
ici dominé ici dominant,
du flux tirant l’influence, le creuset magique
des transes lamentées de la langue morte
contorsionnée derrière les dés d’ivoire.
Les mots soignent en l’ouvrant
la plaie qu’ils remuent
et le retranchement sans écho
s’étend sur l’espace.
Ne pars pas – reviens.
Elle atteint la vitre sous le front le regard ;
attend que son reflet s’y dessine découvert.
Bien sûr les sens fusionnent
dans l’absurde foison de leur étreinte ;
section d’Ombilic/Pansement/Nombril enfin,
spirales enchevêtrées dans la raide
élastique musculaire.
Une à une tu chevauches
les dalles carolingiennes de la cité.
Tu gravis le mouvement
où l’essence du mouvement te perche,
ce point de douleur ancienne,
désir qui endure ;
il n’y a pas de propriétaire ; ni de toi
ni du reste du vol.
Traverse une brèche dans le mur invariant,
attaque le vieux jour, pendant qu’il s’éternise
avec l’incendie du sanglant occident
devant l’Est qui sombre.
“ Jamais le silence ne se fait. Jamais le silence n’est rompu. ”
Le fond de mer ne cesse de fumer.
Emergence islandaise à perte de vue.
La mer ne se contient,
ne peut pas être rompue,
c’est une corolle d’eau du silence des pierres.
Une touffe de poil sur l’arbre de foudre.
D’abord la terre ; nue et flamme, nuées de soufre et
la couleur des volcans.
Puis la mer, l’ubiquité de l’eau. L’étroite
émergence enfin.
Quand la voix tremble un peu.
Panoplie de deuils et de monstres aussi, et
l’inconnu des grottes inouïes.
Le sourd, l’inouï, l’absurde.
Les êtres à ce cataclysme.
L’impossible usage.
Le mythe.
Les êtres du mythe.
Quelques plumes ont fait
la profondeur sans idée de l’histoire,
ce à quoi nombre de peuples rechignèrent
à se conformer ;
crainte de perdre l’étreinte libre et distincte
de leur monde,
l’énigmatique, inconcevable mutisme
de l’homme qui se penche,
attendant son heure pour se mouvoir
et commettre l’acte.
Tu lui diras, l’Alsace et Tihuanaco
– Ah ! Et les grands fonds ! Oh !
1. Le défi vibrant – (Une lueur)
Os orange culminant sur l’Ouest
baigne dans le crâne des cieux,
avalé au faîte des feux,
aveuglante origine de la vision
– un vieux miracle végétal.
Nappe surgie de l’étourdissant voyage.
Feuille blanche dans la nuit d’encre
clôture l’effort surface de rien.
Tendre respir, ver au secret,
au fond des herbes hautes du marécage
– on ramasse un souvenir ;
certains de nos compagnons n’ont pas voulu
escalader l’enceinte irisée du vrai cimetière,
où reposent les dépouilles
de nos rêves inconnus ;
ils se réclament des mères
de Minos et Vespucchi.
“ Avez-vous défié votre lieu,
planté dans votre œil le défi vibrant ? ”
Criait le fou sorcier
dont nous avons quitté le théâtre,
gagnant les régions de l’écho
jusqu'à écarter le silence,
égarer l’écoute.
“ Venez chez moi ! ”
2. La grande nuit – (Deux lueurs)
comme le chant se succède.
L’illusion drape le dérisoire linceul déployé.
La mer, la nuit et les histoires.
La lueur dans les regards qui se séduisent,
lointains, et qui soudain vont hors du temps
avec la lenteur des dieux se jeter
dans le silence, dans la chaude Nuit ibère
qu’ils incarnent.
3. Le dernier jour – (Trois lueurs)
Se peut dire exactement le silence
si cela se tait, et saisir l’ange
à son insu –
seulement des anges qui s’écrasent,
la façon dont ils bafouillent,
écorchés d’étoiles.
Parmi le choeur des sirènes du Nord
Leurs méduses toujours plus lointaines,
La caresse de leur souffle qui siffle parfois
Au cœur de l’ouïe ainsi que la brûlure de la glace.
Dans la cité instable garou c’est encore le dernier jour...
Avant le jour ...
S’inscrivant sur les frontons privés
du transport éphémère ;
Mais que cela danse encore, soit éprouvé,
et viens à oindre !
L’arche du jour est l’essai perpétuel
de la vie de nuit
à se rompre dans le jeu crucial des formes
de sa dévoration.
Son si simple verdict !
Mots pour hommes de parole,
Mots pour sans parole,
La langue notre aimant,
NOUS FAIT
4. Le flot – (Quatre lueurs)
Tout et le flot.
Désir ! Diamant brut !
Diamant de la volonté !
Et le flot,
Furie, image totale,
Insaisissable.
Le mythe se crée,
Le mythe des gueules secrètes
De l’ordre du flot.
Et le flot,
Char amer, alluvion d’estuaire,
Grains de la douleur de naître à s’engloutir.
Fixant la rive changeante
Et le flot,
Désir fendu.
Se rompre
Et le flot,
Convulsé désir
Brûle
Œil mains germe, les pieds à terre
Capturés dans l’inconscience.
Inéluctable flot,
L’acte inéluctable
Qui fend le jour en sa lumière et emporte tout.
Qui sont ces visages qui inquiètent
Au bord de l’inépuisable ? Vagabondants, perdus.
Ont-ils vu la mort de leur sœur, l’épouse du soleil ?
Dans le fracas sombrent – purs !
S’engloutissent, amants de la nuit sans détour,
vaste et constellée !
Les visages de la même
obscure et subtile forme
qui avait crié la jouissance
dans la lisse noirceur des langues du serpent,
la carapace du scarabée.
J’entends les chants dans la poudre du silence.
J’entends les chants dans la poudre du silence.
Le soleil brûle et embrasse tout son royaume.
5. Les métamorphoses – (Cinq lueurs)
Quelque chose de transpiré se transforme
Dessus la terre,
Dessous le ciel,
Où se fait leur hauteur,
Où l’homme chevauche, où domine la femme,
Douleur indésirable, altitude consanguine ;
Le seul endroit vêtu sur la nudité
Qui ne se dénude plus, intouchable joie ;
Sinon par spasmes, titube et coïncide ;
Ton sexe, mon sexe sec, les sexes figures,
Le matricule répété du temps
Qu’il est participé de la marée.
Le mystère chaud et liquide ne se nommait pas
L’océan primordial, ne se nommait pas
L’utérus, quand doucement, de la boucle d’un geste
Surgit l’étrange spontanéité du flot à plonger
Dans l’infinité de son chaos, à créer de l’oubli les
Quand tout à coup, à bout, à l’écartement,
Nous déchira dans l’ardente blessure de l’air,
Le souffle informe qui nous arracha au méplat,
Que nous rendit le sein gonflé, les vignes du sang,
Nourrissant la satiété d’un visage de stupeur
Souriant, un astre aussi dans chaque œil.
Tu as la face creuse de tant de sillons.
Tous les pères à ce visage se sont confrontés.
Qu’avons-nous trouvé à redire
devant ce qui fut dit ?
Tes yeux en cavale se perçaient de couleurs,
les frondaisons s’échouaient sur l’ardeur de l’air,
et ta volonté se déhancha.
Il a été dit …
Que la marque antique sur tes seins, les signes nus
sur l’émergence, du ciel vidait le souffle ;
que l’on trouverait leur dernière offrande
avec l’obscurité de la terre, et le chant sur le ver,
et le bec du caïman, et la mesure de l’iguane.
6. L’assemblée absolue – (Six lueurs)
Digère la hauteur du soleil,
la myriade lumineuse ;
éprouve l’origine de la nuit, l’assaut atomique ;
invariance d’échelle : voilà la table infinie
à notre déluge,
infinitésimale provocation
d’une assemblée absolue ;
Oui, tout ensemble, tout ensemble, tremble
Et s’assemble, tremble et
S’assemble, tremble et s’assemble,
Rassemble, Assemble et Profère.