Disponible en ligne sur le site de l'Harmattan.
Préface :
par Jean-Pierre Faye
« L’intense pression de la nuit », comme la nomme Raphaël Heyer, appuie ici le langage, autant qu’il fait hurler le vent. Un cataclysme secret et envahissant avance de page en page et de mer en forêt. Et ce mouvement d’écume, il se découvre que ses balafres ont pris un corps, « adorablement musculaire ».
Poitrines à nu, corps arrachés
À pleine poigne s’embrassent
Mais ceuxci sont pris dans la bascule des réels,
Chair de quatre vents
…
Pas une cime qui ne fut fond marin
Le poème de Raphaël Heyer est bien poesis, car il compte faire que les choses avancent – vers ce sens. Il annonce :
Hier – je n’ose le dire – c’était grands vents
Et avant-hier encore – tempête
… tout à terre !
Mais deux semaines plus tard, surviendra très réellement
Or le fracas lui-même se résorbe et se résume, car
Le silence
n’existe qu’en l’œil
Lac noir qui absorbe
flèche et déchirure
Dans le travail de Pascal Quignard sur l’Alexandra de Lycophron – l’énigmatique poète de
C’est cette trouée qui s’ouvre un tracé dans Vol de feu.
Et sans doute le paysage et le bord hölderliniens se dessinent aussi au passage,
Essence sanguine, invisible
Au sang, tout cœur enceint
Et condamné – voilà la tour
Sur le Neckar, coupable
Infiniment – la vie tyrannique
S’est montrée au désir
Mais le désir se délivre ici de toute lourdeur chargée par le poids des commentaires. Une belle liberté déjoue les filets et les ruses antérieures.
Son souffle nous atteint là où il passe d’un vol rapide,
Profond lui aussi, de la profondeur respirée
Ce pur espace de la douceur – de la douleur.
Extrait :
Ne plus savoir que dire
Attendre le pas qui retourne la pierre
Et mette à jour ce qui s’ensablait
Une vie grouillante au-delà du jour
Un trépas goutte à goutte et lucide
La mer encore lave et inonde
J’ai traversé des espaces tous nés de la mer
L’eau la même toujours qui baigne ce globe
Jamais nous ne nous en échapperons
L’eau qui nous noie lentement
Jusqu’au lieu où naissent nos lèvres
Nous sommes l’espace d’une origine
Je viens du plus récent polder
Reviens ici qui se couche
Au ciel d’azur lamenté – j’envahis le soleil
L’origine de l’œil, nébuleuses et gravités
Nous avons bu la lune dans l’anneau de la mer
Des cris, rires aux yeux fous
Danseurs ivres quittant l’église
Ils s’en vont par la souille du pavé
Dans le labyrinthe charnu de la cité
Ils jettent jambons et sons de cloches
Dans les oreilles et sur les galbes
Poitrines à nu, corps arrachés
À pleine poigne s’embrassent
Fièvre et saloirs ouverts
Ils saupoudrent jusqu’au tambour dément
Et l’âne hi han très sage
Les emmène au pâturage d’hiver
Balafres de ville, halo fiévreux
Verdâtre comme un flot refoulé
À l’intérieur du théâtre, où les ombres
Baisent la scène, où les lumières prennent
Corps, adorablement, musculaire
Un œil tendu sur la vision
Entre les deux instants qui font
L’étrenne funéraire d’une chair
Chair de quatre vents
Ici nommée, ici fuyante
Comme les villes ne sont
Que la trace des sables d’un meurtre
L’errance obscure du sang
Foi de morsure, c’est l’irréversible
Hameçon – cette blessure, cette bouche
Dont la froideur est la voix de ce feu –
hâle immense